1990. La Salpétrière, 1ère série

Au début des années '90, j'ai choisis l'architecture comme "motif" de la peinture, avec l'intention de recentrer mon travail autour de la notion de muralité: pour travailler la peinture en la rapprochant et en la confrontant à l'architecture, pour mettre en relation l'espace du tableau et l'espace qui reçoit le tableau.
Un premier « motif » a été en 1990 l'église Saint-Louis de la Salpêtrière: d'une part, parce que c'est une architecture classique, et que la notion de classicisme éclaire la peinture quant à son "lieu" et son "origine" (par exemple: l'allégeance du pictural à l'architectural); aussi parce que c'est un édifice à "plan central", c'est-à-dire une réflexion abstraite, très dessinée, sur l'espace, une structure spatiale dynamique, baroque, mais dépourvue de décor.

Les compositions géométriques sont données par des cadrages du plan architectural jouant sur ses différents espaces (nef, chapelle, dôme) et sur différents « calages » du plan par rapport au bords du tableau. Puis j'ai varié à plaisir (et sans les légitimer) gammes colorées et registres picturaux.

1990. La salpétrière, 2ème série

Les 4 tableaux , Nord, Est, Sud et Ouest, montrent des parties du plan, où les directions cardinales sont alignées avec l'axe vertical des tableaux, (et cela à des échelles croissantes, pour déjouer la symétrie induite par plan central); les couleurs dominantes (camaïeux, tendant à la monochromie) sont distribuées selon un cycle solaire (Nord: froid, bleu sur noir; Est, clair, jaune; Sud, chaud, rouge; Ouest: ocres, terres).

Le dispositif d'exposition (d'installation) est conçu comme un préalable à la peinture, non comme accrochage a-postériori des tableaux dans un espace indifférent: les tableaux doivent être positionnés selon les directions cardinales, quelle que soit l'orientation des murs de la salle, sur des cimaises mobiles ; l'effet de zoom induit alors une circulation, un déplacement du regard, du spectateur.
L'exposition, au lieu de simplement donner à voir des tableaux accrochés au mur, doit les "mettre en scène", articuler l'espace où nous regardons la peinture à l'espace d'où la peinture (les tableaux) "nous regarde".C'est à dire qu'elle est une scénographie, où l'accrochage des tableaux (dans leur autonomie d'objet et leur clôture spécifique) détermine un espace qui dépend des tableaux autant que de la salle qui les contient: les peintures recréent l'architecture.
L'intention de cette pièce (4 tableaux + 1 dispositif) est de donner à la peinture le pouvoir de « mettre en tension » le lieu d'accueil (la salle d'exposition) pour mieux manifester le lieu de référence. Cela au moyen d'un arbitraire, l'orientation cardinale, qui joue de manière analogue entre les trois espace : de référence, de représentation, d'exposition.

1992. Tondi, 1

Après les deux ensembles scénographiques, j'ai voulu, a-contrario, des tableaux solitaires, et même refermés sur eux-mêmes : qui ne dialoguent pas avec l'espace du spectateur. D'où les tondi: ce sont des anti-installations, des objets clos, des espaces autonomes, non relationnels . Les motifs sont des reprises de « plans centraux » classiques: Palladio, Bramante, Borromini, Mansart, Ledoux, ...) L'association (tautologique) tondo + plan à symétrie centrale multiplie l'effet d'autonomie et d'isolement, de rayonnement du centre (effet de cible), et donc de perte d'échelle comme d'axe spatial .

1992, Tondi, 2

Le papier format grand-aigle (105x75cm) laisse une marge tout autour de la figure (diamètre 60 cm) , renforçant l'autonomie de l'image par rapport à l'objet-peinture comme par rapport à l'espace. Le vélin d'Arches (papier généralement destiné à l'estampe) a un grain particulier, un toucher très doux, un aspect chaud et mat, et la qualité d'absorber la couleur. La tempera grasse (oeuf + huile) est choisie pour l'onctuosité de la peinture et de l'éclat de la couleur.

1994. La Salpétr!ère, 3.

Ces ensembles sont accrochés au mur de manière rayonnante, reconstituant le plan du chœur (les axes cardinaux positionnés verticalement et horizontalement, en tenant compte du décalage angulaire de l'architecture) ; comme pour les jardins-polyptyques (1992), chaque élément est à la fois un objet et une figure, l’accrochage sur le mur constituant une nouvelle figure (et une composition dans l’espace). Cette ultime version du schéma « Salpétrière » rejoue les questions du fragment et de la déconstruction du tableau, où la cohésion picturale se fonde sur un dispositif incluant le regardeur, l'objet peint, l'espace qui les relie.